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le Conseil d’État neutralise le décret sur l’outrage au drapeau tricolore
http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article4572

article de la rubrique libertés > liberté d’expression / presse
date de publication : jeudi 4 août 2011


Statuant sur un recours en annulation du décret du 21 juillet 2010 incriminant l’outrage au drapeau tricolore, le Conseil d’État a rejeté le pourvoi au terme d’une interprétation qui circonscrit les cas susceptibles d’entraîner des sanctions pénales : il est toujours possible d’outrager le drapeau français pourvu qu’un message politique, une démarche artistique ou une réflexion philosophique puisse y être décelé.

« Bonne nouvelle : on peut continuer à outrager le drapeau s’il y a un message ou une démarche artistique »
Maître Eolas



À l’origine de ce texte, le prix attribué à une photo d’un homme en train de se frotter le postérieur avec un drapeau de la République, lors d’un concours organisé par la FNAC de Nice sur le thème du politiquement incorrect. Suite à l’émoi manifesté par une partie de la majorité présidentielle, le gouvernement avait fait paraître un décretvisant à interdire toute atteinte au drapeau tricolore. La Ligue des Droits de l’homme avait introduit un recourspour excès de pouvoir contre ce décret.

Dans l’arrêtqu’il vient de rendre, le Conseil d’État rejette ce pourvoi mais au terme d’une interprétation qui circonscrit les cas susceptibles d’entraîner des sanctions pénales. En effet, il est toujours possible d’outrager le drapeau français pourvu qu’un message politique, une démarche artistique ou une réflexion philosophique puisse y être décelé.

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Bonne nouvelle : Pef ne sera pas poursuivi !

On en saura bientôt un peu plus. En effet, le 30 septembre prochain, à Caen, pour la première fois, un artiste sera jugé pour « avoir volontairement utilisé de manière dégradante le drapeau tricolore dans un lieu public, ouvert au public et de nature à troubler l’ordre public. » Les faits : le 15 juin 2011, en prologue à une manifestation de protestation contre la baisse des subventions d’État dans la politique de la ville (Contrat Urbain de Cohésion Sociale), la compagnie de théâtre d’intervention L’Oreille arrachée, avait offert une courte représentation au cours de laquelle Yoann Leforestier avait revêtu, comme costume, une burqa tricolore – voir cette page. Cette manifestation portant visiblement un message politique, on peut s’attendre à ce que Yoann bénéficie d’une relaxe.

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Résistances, Caen, le 15 juin 2010

Interprétation neutralisante de l’outrage au drapeau tricolore
[Source : Dalloz Actualité ]

Rappelant les domaines respectifs de la loi et du règlement concernant les crimes, délits et contraventions, la haute assemblée précise tout d’abord « que la circonstance que l’incrimination d’un acte a pour effet de limiter l’exercice d’une liberté publique garantie par des dispositions constitutionnelles ne saurait, par elle-même, avoir pour conséquence de réserver au pouvoir législatif la compétence pour édicter ces contraventions, dès lors qu’elles n’ont pas pour objet de réglementer l’exercice de cette liberté mais seulement d’y apporter les limitations nécessaires à la sauvegarde de l’ordre public ».

S’agissant du moyen tiré de ce que le décret attaqué porterait atteinte à la liberté d’expression, le Conseil d’État précise, à la lecture des articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (Convention EDH), « qu’il appartient au pouvoir réglementaire, lorsqu’il édicte une incrimination qui, comme en l’espèce, peut avoir pour effet de limiter la liberté de chacun d’exprimer, quel qu’en soit le mode, ses idées, de concilier la garantie de cette liberté avec les exigences de l’ordre public ».

En l’espèce, la haute assemblée considère « qu’en prévoyant que le fait de détruire, détériorer ou utiliser de manière dégradante le drapeau tricolore, dans un lieu public ou ouvert au public, ou de diffuser ou faire diffuser l’enregistrement d’images relatives à de tels faits, même commis dans un lieu privé, n’est passible des peines que prévoit le décret que commis dans des conditions de nature à troubler l’ordre public et dans l’intention d’outrager le drapeau tricolore, le pouvoir réglementaire a entendu n’incriminer que les dégradations physiques ou symboliques du drapeau susceptibles d’entraîner des troubles graves à la tranquillité et à la sécurité publiques et commises dans la seule intention de détruire, abîmer ou avilir le drapeau ; qu’ainsi ce texte n’a pas pour objet de réprimer les actes de cette nature qui reposeraient sur la volonté de communiquer, par cet acte, des idées politiques ou philosophiques ou feraient œuvre de création artistique, sauf à ce que ce mode d’expression ne puisse, sous le contrôle du juge pénal, être regardé comme une œuvre de l’esprit ; qu’ainsi, compte tenu de ces précisions et malgré la généralité de la définition des actes incriminés, le décret attaqué ne porte pas […] une atteinte excessive à la liberté d’expression garantie par la [DDHC] et la [Convention EDH] ; qu’au regard des peines déjà prévues par le législateur tant dans le code pénal que dans le code de la défense pour protéger l’emblème de la République institué par l’article 2 de la Constitution d’atteintes de ce type, l’auteur du décret attaqué n’a pas fait une inexacte appréciation de la nécessité d’interdire les agissements réprimés par ce texte et des sanctions destinées à punir la contravention à ces interdictions ».
R. Grand, le 28 juillet 2010



P.-S.
Lire également : « Tu ne pourras volontairement outrager le drapeau tricolore que pour des motifs politiques, philosophiques ou artistiques » (CE, 19 juillet 2011, LDH), publié le 29 juillet 2011 sur le site Combats pour les droits de l’homme : http://combatsdroitshomme.blog.lemo....

« La nouvelle infraction d’outrage au drapeau s’arrête là où commence la liberté d’expression politique, philosophique et artistique. »

Cédric Roulhac